Histoire d’une passion pour les instruments à clavier
Dans mon domicile familial trônait un piano, sur lequel ma maman jouait parfois. Dès l’âge de 8 ans, je me suis mis à en jouer à mon tour, cahin-caha (comme enfant, la discipline et la persévérence n’allaient pas toujours de pair avec le talent…).
Un jour, le vieux chanoine organiste de notre paroisse m’entendit à la maison et déclara tout net à mes parents: « …Il faut le fouttre à l’orgue ! ». Ce fut le début d’une brève carrière d’organiste; j’avais alors 15 ans et persévérai jusque vers 22 ans.
Au moment de quitter le cocon familial, un de mes frères, pourtant pas musicien du tout, me proposa de me prêter de l’argent pour m’acheter le piano de mes rêves… Quelques mois plus tard, après avoir passé une journée mémorable dans la fabrique Fazioli de Sacile (près de Venise) avec son patron et concepteur ainsi que mon frère, pour voir mon instrument en construction, je me retrouvai, dans ma chambre d’étudiant de 4 m. sur 5 à Aigle, avec un piano à queue Fazioli flambant neuf…
Plus récemment, mon activité de musicien amateur prit une nouvelle orientation: chant, direction chorale (notamment dans le domaine de la musique ancienne), laquelle m’éloigna quelques années des instruments à clavier.
Ces derniers se rappelèrent à mon bon souvenir et me sommèrent de m’y remettre… Un concert de nouvel an à Rougemont avec clavecin en 2003 (Pierre Hantaï au clavecin et ses 2 frères au traverso et à la viole de gambe) me fit découvrir ma nouvelle vocation, le clavecin. Cette « révélation » correctement interprétée, le passage à l’acte ne se fit pas attendre: je me mis immédiatement et assidûment à jouer de cet instrument, grâce à la générosité de la claveciniste/organiste montreusienne Martine Reymond, laquelle me prêta l’un de ses propres instruments, le temps de passer commande de 2 grands clavecins à 2 claviers d’un coût de quelque 120’000 francs (pour les deux, rassurez-vous).
Dans l’ordre, dans les 15 jours après le concert des frères Hantaï, je passais commande d’un premier instrument auprès de M. Yannick Van Hove, facteur de clavecins à Aigle. Le premier contact fut assez piquant: de mon côté, j’ai un peu procédé comme dans un magasin, un peu comme si je demandais « auriez-vous un clavecin comme ci ou comme ça en rayon » ?
Dans ce cas, n’ayant à l’époque aucune connaissance des clavecins …ou presque, j’avais préalablement demandé à un certain nombre de clavecinistes que je connaissais, s’ils pouvaient m’indiquer, s’il me fallait ne commander qu’un instrument, quel serait le « type » de clavecin, parmi les instruments historiques, le plus polyvalent à choisir. Puis je leur avais demandé également s’il existait à leur connaissance dans notre région de bons facteurs de clavecin. Plusieurs d’entre eux m’ayant recommandé M. Yannick Van Hove, et suggéré qu’un clavecin de type de modèle « Ruckers » et à 2 claviers (Ruckers: du nom d’une dynastie de facteurs de clavecins flammands aux XVIe-XVIIe siècles), correspondrait à mes souhaits… J’ai donc simplement téléphoné à M. Van Hove pour lui dire que je souhaitais lui passer commande d’un clavecin « Ruckers », et si c’était possible… Surprise au bout du fil, il ne me connaissait pas, et manifestement, voulait savoir le pourquoi de ma commande, si j’avais vraiment choisi en connaissance de cause, s’il ne s’agirait pas d’aller peut-être d’abord essayer divers instruments, notamment des instruments historiques, il me proposait même de m’amener dans certains musées pour faire mon choix…
Sur ce, je lui ai répondu que …n’ayant jamais vraiment joué de clavecin, il me serait difficile d’essayer et de fixer mon choix dans ces conditions ! Mais qu’on m’avait recommandé une copie d’après un « Ruckers »… et finalement, nous sommes partis dans cette voie: fin janvier, soit moins d’un mois après le concert des frères Hantaï, je passais commande de mon clavecin flammand, d’après le « Ruckers » se trouvant au Musée Unterlinden à Colmar…
En juin de la même année, je faisais connaissance de M. Jean-Michel Chabloz, un autre facteur de clavecin, et président du Festival « La Folia » à Rougemont. Un de ses instruments, un clavecin de type français, était joué en concert. La sonorité de cet instrument m’a littéralement subjuguée… Après le concert, je lui ai demandé si cet instrument appartenait à quelqu’un, et si non, s’il était à vendre… Il l’était… mais un autre client potentiel s’y intéressait, lequel s’est finalement décidé à l’acheter. J’ai alors demandé à M. Chabloz s’il était « capable » de me refaire un instrument ayant à peu de chose près la même sonorité, tant dans son type que dans sa qualité. ll a répondu que oui, et je lui ai donc passé commande d’un second instrument à 2 claviers, un clavecin de type français XVIIIe siècle, d’après un original se trouvant dans une collection d’instruments anciens à Edimbourg, instrument daté de 1769, réalisé par le facteur de clavecins Pascal Taskin.
Simultanément, je m’étais mis à étudier et travailler le clavecin frénétiquement. Mon objectif: être capable de jouer une pièce à l’occasion de l’inauguration du premier instrument qui me serait livré… Pour cela, j’ai bénéficié de la très généreuse initiative de la claveciniste-organiste Martine Reymond, laquelle m’a mis gratuitement à disposition un de ses clavecins, un clavecin français, le temps que je reçoive le premier des instruments dont j’avais passé commande ! Dans la foulée, elle m’a donné des leçons, afin que je ne prenne pas trop vite de mauvaises habitudes: c’est redoutable de passer du piano au clavecin, tellement on peut jouer « comme sur le piano », alors qu’il faut complètement changer d’approche des claviers et du toucher, pour cet instrument.
Je dus m’armer de patience et attendre une année et demi avant que mes bijoux ne me soient livrés, tout en faisant la navette entre les ateliers des deux facteurs, histoire de suivre pas à pas leur fabrication et connaître mes futurs instruments « de l’intérieur ». Magnifique aventure: découvertes, mais relations humaines aussi, apprentissage simultané de tant de choses…
Certaines méchantes, mais alors très méchantes langues, sussurèrent en ricanant des « C’est pour quand le troisième bébé de ton élevage de clavecins ? », ou, pire encore « Après, ça sera un orgue ? ». Pffff… La maison n’est pas vaste à ce point, mes ressources financières suffisamment modestes pour qu’il me faille quelques annnées pour me payer cette folie que représentait la commande simultanée de deux grands clavecins à deux claviers ! En outre, il faut laisser encore un peu de place à La Goulue au public de nos concerts, car n’oublions pas que ces instruments, si je m’en délecte avec plaisir, sont régulièrement joués dans le cadre des Concerts à la Goulue, mais aussi à l’extérieur, où ils sont assez régulièrement loués.
Mais il faut bien admettre que parmi les méchantes langues, certaines ne me connaissent que trop bien… et ont fini par avoir raison ! En effet, j’ai craqué début 2009 pour un magnifique « muselaar », un type particulier de virginal dont vous découvrirez l’aspect, la description et l’historique ci-dessous…
…Puis ce fut le tour d’une adorable petite épinette italienne, d’après un instrument du XVIe siècle, fabriquée en 1982 par Bruce Kennedy. Cet instrument, en cyprès, n’était pas en très bon état lorsque je l’ai acheté d’occasion. Jean-Michel Chabloz, l’un des …3 facteurs de mes clavecins, en a fait une révision complète, et je lui ai fait fabriquer une caisse pour l’y mettre, comme ça se faisait à l’époque avec les instruments italiens.
En 2009, un jeune musicien, dont les problèmes de santé l’ont soudain empêché d’en jouer, se séparait douloureusement d’un organetto médiéval, un instrument réalisé d’après un modèle du XVe siècle sauf erreur, petit instrument d’une octave et une quinte, qui se pose sur un genou, dont on actionne le soufflet d’une main pendant que l’autre joue le mini-clavier. Cet instrument n’est finalement pas resté bien longtemps entre mes mains: prêté d’abord à une musicienne, il fut vendu en 2011 à un musicien lausannois féru de musique médiévale, M. Gaël Liardon. Néanmoins, il préfigurait l’acquisition d’un dernier instrument, de cette même famille…
…Dernière étape: en mai 2010, frémissant d’impatience, je me suis rendu à Haguenau, au nord de l’Alsace, chez Quentin Blumenroeder pour prendre livraison de ce qui sera le dernier instrument de ma collection personnelle: un orgue-coffre de continuo, à 2 registres, très compact et léger pour un tel instrument, lequel, comme son nom l’indique, n’est pas destiné à être joué en solo, mais pour l’accompagnement d’instruments, ensembles instrumentaux et oeuvres d’oratorio avec chanteurs et instruments. À nouveau, une magnifique rencontre avec un homme merveilleux, qui sera à l’origine du nom de baptême de l’instrument: « Quentin-Joël ». J’ai pu voir l’instrument presque achevé; j’ai assisté aux derniers réglages et ajustages, avant de repartir chez moi avec ce beau bahut dans notre voiture ! Encore une nouvelle aventure qui se terminait (provisoirement) là…
Quelle nouvelle aventure avait été à l’origine de l’acquisition de cet instrument ? Vous le saurez en lisant l’historique qui figure dans la fiche technique de l’instrument.
Avec ainsi 1 piano à queue, 4 instruments de la famille des clavecins et 1 orgue, ma collection est donc complète et il n’y aura plus de place pour ajouter quoi que ce soit comme instruments de cette famille dont les membres sont le plus souvent de taille respectable…
Par contre, il reste un autre chapitre: le clavecin français d’après un instrument original de Pascal Taskin, ainsi que l’épinette italienne, ont bénéficié d’un ajout dont l’attrait n’est qu’esthétique, mais il en valait la peine: ce fut l’occasion de découvrir la peintre de Ravenne Elisabetta Lanzoni, dont la qualité de ses peintures de couvercles de clavecins est somptueuse. Vous pouvez vous en faire une petite idée sur les photos des instruments sur son site Internet. Cela m’a valu …3 voyages à Ravenne pour voir réaliser ces merveilles, découvrir la personne et …l’extraordinaire ville de Ravenne et ses sompteuses mosaïques de type byzantin.
Or donc, chers amis mélomanes, vous pouvez venir écouter ces instruments en concert, et, pour les musiciens, si le coeur vous en dit, ils sont à votre disposition pour venir y travailler, voire, s’agissant des meilleurs d’entre vous, pour venir vous y produire en concert dans le cadre des « Concerts à la Goulue ».