Nicolas Reymond, ténor, et Ashot Khachaturyan, piano: « Die Schöne Müllerin », de Schubert: un récital de Lieder

C’est avec un immense plaisir que nous avons accueilli Le jeune chanteur et directeur de choeur lausannois Nicolas Reymond, passionné de Franz Schubert, accompagné par le pianiste Ashot Khachaturyan, qui nous offrait ce samedi dernier une soirée consacrée au cycle de 20 Lieder intitulé « Die Schöne Müllerin » op. 25. Ce récital de Lieder a constitué rien moins qu’une première à La Goulue, et le concert ouvrait notre saison 2013 !

Une grande question se posait: cette tentative serait-elle propre à attirer beaucoup de mélomanes à La Goulue ! La réponse ne s’est pas faite attendre: pas loin de 60 personnes ont rempli une Goulue pas toujours à pareille fête !

Si le public avait bien répondu présent, ce en partie grâce aux activités de direction chorale de Nicolas Reymond dans la région, il ne restait plus qu’à entendre ce que ces deux artistes allaient faire de ce cycle qui, pour magnifique que soient les 20 perles qui le composent, n’en constitue pas moins un défi redoutable à relever: l’écriture en apparence très abordable de Schubert, avec ses mélodies semblant simples à qui les écoute, fourmille de difficultés majeures: intervalles très grands entre les notes, nécessité de maîtriser très bien l’allemand, et dans les nombreux passages rapides, il fallait encore rendre ces textes intelligibles, tout en gardant une ligne de conduite, et sans que la langue pose des problèmes de justesse ou de « manque d’air » dans certaines longues phrases musicales.

Le défi a été parfaitement relevé par Nicolas Reymond, qui s’était manifestement longuement et minutieusement préparé à cette redoutable oeuvre. Le résultat en a été une impression de facilité qui n’était …qu’une impression, une grande aisance vocale, de la part d’un chanteur à la voix de ténor léger, aérienne, sans lourdeur, sans vibrato excessif, et avec une présence sonore idéale pour le cadre très restreint de La Goulue, dont l’acoustique est certes excellente, mais plutôt sèche pour les voix, qui doivent tout « porter », car chaque détail s’entend et aucun écho ne permettant de soutenir la voix et faire résonner les notes finales…

Mais Nicolas Reymond a immédiatement campé une atmosphère « schubertienne » qui rendait très bien cette impression de fausse légèreté du propos, de contine populaire, alors qu’à chaque pas, il se passe autre chose, des changements d’humeur, les aléas de l’amour qui font passer le narrateur par tous les états d’âme. Schubert rend tellement bien ces inflexions d’intentions, de vécu, par son écriture musicale; mais il n’est pas facile de les rendre palpables, l’exercice vocal demandant de grandes capacités, un large tessiture, mais aussi, une sensibilité musicale tout empreinte d’intériorité mais aussi des moments d’angoisses, de dépit, d’espoir, que notre chanteur a magnifiquement bien rendu.

Il faut également laisser une place importante au pianiste. Ashot Khatchaturian, qui nous venait de …Berlin pour être le complice du chanteur au clavier, nous a livré une démonstration d’accompagnement digne des plus grands éloges. Schubert a également glissé d’innombrables chausse-trappes dans la partition de piano, tantôt très simple, tantôt assez rapide et dense, et le pianiste doit s’en servir pour soutenir le propos du chanteur sans jamais le couvrir, et parfois dialoguer avec lui. Le pianiste avait choisi un jeu très sobre, faisant un usage très modeste de la pédale, mais le tout compensé par une technique pianistique extrêmement précise, ciselant chaque phrase musicale, faisant de chaque moment musical un instant précieux, dont aucune note n’est anodine. Il est vrai que mon piano Fazzioli possède toutes les ressources pour un jeu très subtil, mais encore faut-il savoir en faire usage !

Le résultat est que nous entendons un discours pianistique très doux, mais incroyablement vivant, préssent dans sa discrétion, soutenant magnifiquement le chanteur. Parfois bien sûr, il y avait des passages où le piano pouvait se laisser aller à plus d’emphase, parce que le chant s’y prétait, et que le sujet d’un Lied incitait à une présence plus affirmée, pour des climats plus orageux notamment… Tout y était ! Et pour un jeune pianiste qui fait déjà une carrière de soliste à Berlin et ne pratique que fort peu la musique de chambre, le résultat est juste magique ! Sans compter qu’il s’agit de rester dans le coup durant une pleine heure, à enchaîner ces 20 Lieder très différents les uns des autres, certains étant repris avec d’autres paroles, d’autres s’enchaînant d’une traite. Certains très courts, d’autres assez longs, et peu de répit dans l’enchaînement de toutes ces petites mignatures qui constituaient autant de chefs-d’oeuvre…

Le public ne s’y est pas trompé qui a manifesté son émotion en fin de concert par un tonnerre d’applaudissements bien mérités.

L’après-concert a été l’occasion de transmettre moultes félicitations et remarques circonstanciées, le public était comblé, et n’a pas boudé son plaisir en restant nombreux pour partager le verre de l’amitié, de la lumière dans les yeux de chacun…

Une magnifique entrée en matière pour cette programmation 2013 à La Goulue, dont on espère que les autres événements seront aussi émouvants, enthousiasmants, et bien suivis par un public nombreux…