Compte-rendu du concert:
Ils se sont un peu rencontré par hasard. Francesco Corti, très jeune claveciniste au palmarès déjà étoffé (dont un prix au concours des clavecinistes de Brugges), et Liselotte Émery, laquelle, non contente d’avoir atteint les sommets en flûte à bec, étudie actuellement le …cornet à bouquin avec William Dongois. Entre les deux, ils doivent bien totaliser dans les 43 ans… et partagent le goût de la facétie: pourquoi aller au concert, par exemple ? Juste pour voir l’effet sur le public de vouloir aller s’asseoir devant, et au milieu d’un rang, ce qui obligera tous les auditeurs à se lever, au moment précis où le concert s’apprête à commencer…
Ils sont venus, qui d’Amsterdam, qui de Gaillard près de Genève, pour nous offrir une soirée au thème original: « La répétition en musique ». De quoi s’agissait-il ? de basse obstinée, de passacailles et de chaconnes, de « grounds », sortes de tubes musicaux souvent très simples, se prêtant à merveille à l’exercice de la « diminution », sorte d’ornementation improvisée très sophistiquée et très prisée au tournant du dix-septième siècle. On rivalisait de fantaisie dans l’improvisation sur des thèmes connus, on composait à tour de bras des variations sur tout matériel musical qui s’y prêtait…

Francesco Corti, un jeune claveciniste magnifique ...dans tous les sens, au toucher fantastique et à la palette expressive presque infinie
Nos deux très jeunes interprètes nous en ont offert un bel échantillon. Les Italiens excellaient dans ce genre d’exercice, mais le reste de l’Europe a suivi le mouvement, chaque région, chaque artiste selon ses goûts. Les partitions qu’ils nous en ont laissées foisonnent. C’est dans cet immense répertoire que Liselotte Émery et Francesco Corti ont puisé pour nous faire découvrir toutes les ressources de ce répertoire instrumental, dont la virtuosité n’est pas la moindre des caractéristiques. Oh, ce n’était qu’une simple formalité pour ces jeunes qui ne doutent de rien et avalent des montagnes d’ornements et de diminutions vertigineuses comme si de rien n’était…

Liselotte Emery ne fait qu'un avec chacune de ses flûtes, dont elle tire des sons à pleurer... Rien ne lui semble impossible, tout est beau...
…enfin, pas tout-à-fait: ils se sont surtout piqués d’en faire de la belle musique ! Et les 55 personnes présentes ne s’y sont pas trompées, qui ont apprécié le jeu d’une incroyable finesse et vélocité de Liselotte Émery, avec une attaque des sons d’une grande discrétion. Cette musique a su se faire modeste et parfois même intimiste. Le clavecin dialoguant, enveloppant, soutenant le propos musical de la flûte… Clavecin qui s’est autorisé, histoire de laisser souffler la flûtiste, à s’aventurer en solo dans quelque Sweelinck, quand ce n’était pas une pièce de Ligeti, histoire de rappeler qu’il n’y a aucune raison que cet instrument se voit contraint de ne toucher qu’au répertoire d’avant le piano moderne…
L’enthousiasme, mais aussi le sérieux implacable de la préparation de leur programme, qui se sentait d’un bout à l’autre de la soirée: rien n’avait été laissé au hasard, et une fois digérées les difficultés, les enchaînements, le rodage du duo, complice en diable, il n’y avait plus qu’à laisser s’exprimer la sensibilité de ces deux jeunes prodiges qui nous ont embarqué dans une étourdissante mais captivante quête de l’art des variations et de la basse obstinée.
Jusqu’à Liselotte Émery qui s’est risquée à chanter l’une des mélodies les plus connues du compositeur anglais de la grande période élisabéthaine le plus fameux peut-être, Dowland, mélodie ayant inspiré d’innombrables compositeurs-arrangeurs, friands de mélodies se prêtant à ce genre d’exercice. Après le chant, un échantillon de ce que les compositeurs ont pu triturer de mieux de cette mélodie pour l’accommoder à leur sauce.
Et on y a pris goût, et le public s’est trouvé fort impressionné par l’atmosphère chaleureuse, spontanée, mais aussi parfois toute de fine tendresse, qui se dégageait de cette paire de jeunes talents. Une fois de plus, à La Goulue, on a pu confirmer que la relève est assurée, que nombre de jeunes se risquent dans le très difficile parcours du combattant qui ne mènera jamais à la renommée qu’un petit quarteron de tous ceux qui se lanceront dans la difficile quête d’une maîtrise musicale dont le niveau professionnel exigé monte sans cesse, au fur et à mesure que les places se font rares… Pourvu que les mélomanes ne se laissent point à l’avenir guider par les sirènes de la facilité et continuent à s’intéresser à cet extraordinaire foisonnement musical dont l’humanité nous a gratifiés, et que tant d’artistes s’évertuent constamment à ressusciter pour mieux nous le faire découvrir.
Merci à Liselotte et à Francesco !