
Le quatuor dans le feu de l'action, sous la direction de William Dongois et de son cornetto, et sous l'...oreille attentive du public
Compte-rendu du concert:
Samedi 10 Novembre 2007 fut une grande soirée à La Goulue, pour une première: le cornet à bouquin (« cornetto » en italien) y a fait son entrée …en fanfare, accompagné d’un violon et de deux clavecins…
Or donc, voilà un instrument dont je trouve que la sonorité est l’une des plus belles au monde: chaude, enveloppante, ronde, cuivrée mais sans l’ostentation parfois prétentieuse de ses descendants plus tardifs que sont les trompettes… En effet, le cornetto est un instrument à embouchure, mais en bois (tant l’instrument que l’embouchure). Qui plus est, pour corser le tout, le corps de l’instrument est percé de trous comme les flûtes à bec, et l’embouchure est minuscule, ce qui rend cet instrument redoutablement difficile à maîtriser.
Mais pour qui le maîtrise, le bonheur est au rendez-vous… Or, de mon humble point de vue, William Dongois, le patron du « Concert brisé », est simplement le meilleur cornettiste actuel au monde. Jamais je n’ai trouvé réuni chez aucun autre cornettiste tant la maîtrise parfaite de cet instrument: justesse, virtuosité, légèreté, douceur et « moelleux » du son, variations infinies de nuances, maîtrise des volumes sonores les plus discrets, bien au-delà de ce dont sont capables les autres maîtres de cet instrument. Avec en sus une musicalité exceptionnelle, toute d’économie, avec un sens de l’ornementation et des diminutions qui ne mettent jamais en avant les qualités du virtuose, qui s’efface toujours devant le musicien: ce qui sort de ses instruments paraît toujours tellement naturel, tellement facile…
C’était donc une soirée attendue avec impatience, et un immense honneur pour la Goulue d’avoir obtenu l’accord de ce grand musicien, qui plus est accompagné de trois de ses plus fidèles compagnons du « Concert Brisé », à savoir la violoniste Christine Moran, elle-même grande orfèvre de son instrument, apte à dialoguer sur le même registre musical avec le cornet, et pour les « accompagner », ou plutôt faire corps avec les deux instruments solistes, les clavecinistes Anne-Catherine Bucher et Carsten Lohff, orfèvres des claviers.
Quel luxe d’avoir 2 clavecinistes ! Ils nous ont offert toutes les combinaisons possibles: chacun accompagnant l’un des instruments solistes, qu’ils soient en duo ou en solo; ou continuo à deux clavecins, parfaitement complémentaires, chacun ornant ou « diminuant » les mélodies à sa manière, mais en parfaite …harmonie ! Sans parler de quelques pièces à 2 clavecins, notamment un dialogue à 2 jeux de luth du plus heureux effet. Mais surtout, cette agréable sensation de bénéficier d’un « effet stéréo » produit par 2 instruments situés à quelque 5 mètres l’un de l’autre, dans un salon permettant d’avoir une écoute « géographique » meilleure que dans une grande salle…
La Goulue ne constitue a priori pas l’endroit idéal pour permettre au cornet à bouquin de s’épanouir. Les églises sont des lieux incomparables, vu leur acoustique ample et réverbérante, pour porter et propager le son de ces instruments. Mais c’est sans compter sur le sens musical inouï de William Dongois, apte à s’adapter à toutes les acoustiques. Son importante collection de cornets à bouquin lui permet de trouver l’instrument adapté à chaque pièce musicale, mais également à l’acoustique du lieu. Dans ce cas, il avait pris avec lui un cornet de facture tardive (XVIIIe siècle), à la sonorité chaude, mais plus discrète que certains cornets italiens du XVIIe siècle. Il jouait également du « cornet muet », un instrument encore plus sobre et discret, dont l’embouchure est incorporée à l’instrument lui-même.
Passé le premier morceau, qui donnait le sentiment que les instrumentistes se réappropriaient une acoustique profondément changée par la très nombreuse assemblée de ce soir-là, sans parler que votre serviteur les avait peut-être un peu trop gavé auparavant de délicieuses châtaignes grillées…, nous sommes entrés dans le vif du sujet et avons dégusté les fruits d’une équipe parfaitement complice, dans une musique consacrant l’âge d’or du cornetto, soit la période couvrant la fin du XVIe siècle et la première moitié du XVIIe siècle, musique faisant la part belle aux compositeurs italiens, qui ont largement servi cet instrument.
Comme cette période de l’histoire de la musique a été très riche en inventions multiples, en compositeurs-explorateurs de nouvelles formes musicales, arpentant toutes les audaces harmoniques, prospectant les chromatismes les plus vertigineux, ornant et diminuant les mélodies sans retenue, pratiquant l’art des variations sur tous les thèmes musicaux imaginables, nous avons été bien servis, avec des oeuvres de Fontana, Rognoni, Storace, Castello et autres Cazzati et Buxtehude.
Le « Concert Brisé » a conquis sans peine le public; par le cornet à bouquin, mais tout autant par son interprète, William Dongois, et ses « acolytes » qui ont dialogué avec lui avec bonheur, nous offrant un somptueux récital dans tout ce que la Goulue aime à partager avec son public et les musiciens invités: des artistes passionnés, compétents, des répertoires nouveaux pour une partie des auditeurs, des instruments nouveaux…
…mais aussi, dans le cadre de notre année 2007 placée sous le thème des « instruments à clavier », un usage particulier de ceux-ci: en effet, cette période musicale consacre également l’avènement de la pratique du « continuo », qui va ensuite marquer toute l’époque baroque. Cet art tout-à-fait redoutable amène ses interprètes à devoir « accompagner », soutenir, dialoguer avec des instruments solistes sur la seule base d’une « basse chiffrée », soit une mélodie de basse écrite avec indications d’accords chiffrés, à réaliser sous forme d’une improvisation « de bon goût », soit en harmonie avec les instruments solistes, sans les « couvrir », mais en « habillant » d’harmonie des instruments mélodiques dans le style et l’atmosphère des pièces musicales… Nous avons été fort bien servis à cet égard, les deux clavecinistes nous ayant gratifié d’une performance de haut vol.
C’est donc les oreilles agréablement chatouillées par une magnifique soirée musicale, dans notre cadre intimiste à souhait, mais qui permet, par la proximité entre musiciens et public, de ne pas rater la moindre inflexion de la musique, le moindre effet, si subtil soit-il, cherché par chaque musicien, et ainsi de nous sentir en symbiose avec eux, complices en quelque sorte, tout en étant comme dans « l’antre musicale » des artistes, comme l’oreille collée aux musiciens…
Merci encore les artistes ! Et au plaisir de vous réentendre à l’avenir, à La Goulue ou ailleurs !
Galerie de photos: Avant le concert, dans les coulisses… C’est aussi ça, les « Concerts à La Goulue » !