Bertrand Cuillier, virginal

Compte-rendu

Bertrand Cuiller est l’un des meilleurs clavecinistes et virginalistes du moment. Il a enregistré plusieurs magnifiques disques de virginal, notamment auprès du label Alpha, j’étais donc heureux de pouvoir l’accueillir dans le cadre des « Concerts à La Goulue ». Il avait déjà eu l’occasion de jouer mon muselaar (type particulier de virginal, celui qui sonne le mieux) dans le contexte du Festival La Folia à Rougemont, où il s’était produit.

M’ayant demandé de lui préparer le virginal et le clavecin Ruckers, j’avais descendu ce dernier et accordé les deux instruments…

Mais à son arrivée, Bertrand Cuiller a testé le virginal d’abord… pour finalement ne plus le quitter, et me demander d’un air gêné s’il pouvait me faire une « infidélité »: soit ne jouer que le virginal… non pas que le clavecin ne soit pas bon, bien au contraire, mais c’était juste qu’il n’avait jamais joué un virginal de cette qualité, qu’il n’y en a pas des dizaines à jouer à droite à gauche, et que c’était un tel plaisir que ce serait dommage de ne pas tout jouer sur cet instrument…

J’ai volontiers accédé à sa requête, et nous avons eu droit à un récital de virginal proprement jubilatoire ! Toutes les palettes expressives de cet instrument ont été sollicitées, et Bertrand Cuiller a fait résonner magnifiquement un instrument dont la sonorité est juste miraculeuse, il faut le dire, ce n’est pas pour rien que j’essaye de programmer aussi souvent que possible cet instrument, parce qu’une telle sonorité fait un bien fou aux oreilles et à l’âme !…

Bertrand Cuiller a bien sûr résolument axé sa programmation musicale sur les compositeurs qui ont fait le plus grand usage de ce type d’instruments, soit les compositeurs anglais de l’époque élisabethaine, qu’on nomme souvent « les virginalistes« , en l’occurence John Bull, William Byrd et Thomas Tomkins.

Ce répertoire anglais fait la plus large place aux variations qu’on écrivait sur une mélodie connue, et certaines séries de variations étaient extraordinairement développées ! John Bull notamment, a écrit jusqu’à plus de 30 variations successives sur certaines mélodies, ce qui donne un résultat très diversifié, mais ces oeuvres sont redoutablement difficiles à exécuter, surtout sur un instrument qui, pour magnifique qu’il sonne, est difficile à jouer, la mécanique étant malgré tout celle d’une épinette, à la famille de laquelle appartient le virginal.

Inutile de dire que Bertrand Cuiller a survolé ces problèmes et s’est littéralement éclaté, nous livrant le meilleur de ce qu’on peut entendre d’un tel instrument…

Hélas, il faut reconnaître qu’un public nettement plus abondant aurait mérité d’entourer le musicien… Seules 22 personnes avaient fait le déplacement, et ne l’ont pas regretté.

Que faut-il donc faire pour amener plus de gens à découvrir un tel instrument, surtout lorsqu’il est joué par de telles mains au service d’une telle finesse de toucher, d’une telle sensibilité et intelligence musicale ? C’est parfois désespérant…