Ce soir, nous avons pu découvrir, à l’occasion d’un « Concert à La Goulue hors-programmation », un jeune claveciniste parfaitement brillant, et particulièrement sympathique…
En début de vacances d’hiver, ce jeune homme, fils d’un ami professeur de piano de la région, et que je connaissais déjà quelque peu, l’ayant entendu travailler sur mes instruments depuis quelques années à l’occasion, m’a demandé s’il pouvait venir jouer à La Goulue, en fin de vacances, un programme qui allait être celui de son premier concert public en solo quelques jours plus tard, donc son premier récital de clavecin.
Il s’agissait pour lui de pouvoir le jouer devant un petit public, pour l’essentiel ses parents et sa soeur, mon épouse et moi, et de plus ou moins improbables amis invités en dernière minute… Notre agenda étant à cette période surchargé d’invitations en tous genres, et d’activités diverses, il ne restait plus que le samedi 5 janvier de libre, ce qui convenait à notre artiste.
La Goulue s’est toujours fixée une mission première: servir de plate-forme de lancement pour de jeunes artistes se destinant ou débutant une carrière de musicien professionnel, avec option pour les spécialistes des instruments à clavier, piano ou clavecin…
Voilà donc une occasion rêvée de rendre un service, certes improvisé et en cadre archi-intimiste…
Du moins, c’est ce que je croyais, mais je me trompais… De fait, je me suis dit que ce claveciniste très jeune et très doué méritait peut-être qu’il y ait quelques personnes de plus pour l’écouter, que cela constitue un bon galop de lancement. Du coup, j’ai transmis l’information à notre fichier d’adresses pour les « Concerts à La Goulue », mais uniquement le fichier par courriels: il était trop tard pour créer un papillon et le diffuser par voie postale, à plus forte raison bien trop tard pour informer les médias et autres sites Internet annonçant les concerts, ce en pleine période de fêtes de fin d’année…
Par contre, un petit message à notre liste de diffusion pour signaler aux éventuels amateurs non partis en vacances à cette période et n’étant pas déjà pris par autre chose, qu’il y avait un « extra » à La Goulue; qui sait, j’espérais « récupérer » un petit public de dernière minute…
De fait, je m’étais quelque peu trompé: ce ne sont pas moins de 25 personnes qui ont fait le déplacement ! Y compris une poignée qui venait d’entendre Adrien Pièce la veille au soir improviser chez l’un des facteurs de mes clavecins, Jean-Michel Chabloz… Et je crois bien qu’aucune personne venue à La Goulue ce soir n’a regretté ce déplacement… En effet, ce jeune artiste a plus que répondu à nos attentes et autres espérances: il s’est résolument lancé à corps perdu dans un grand programme de récital avec des pièces particulièrement difficiles, notamment une toccata suivie d’une grande suite de Reinken, un compositeur du nord de l’Allemagne ayant grandement inspiré Bach lui-même, et s’inscrivant dans la lignée d’un Buxtehude, et au style de composition encore fortement imprégné du « stylus fantasticus ». Mais aussi les célèbres « tombeaux pour M. de Blancrocher » composés à la mort de ce luthiste français par deux de ses proches amis musiciens, Louis Couperin et Froberger. Mais encore une grande toccata de J.-S. Bach, une oeuvre de jeunesse certes, mais à la construction savante et libre, alternant des parties très contrastées et des fugues. Une oeuvre peu souvent jouée mais redoutablement difficile.
Notre jeune concertiste, qui a brillamment présenté les pièces et les compositeurs, de manière à permettre à tout un chacun de situer ces oeuvres dans leur contexte et à détailler leur forme musicale, a défendu excellemment ces oeuvres aux claviers de mon clavecin français « Taskin », lui aussi le fruit du travail de Jean-Michel Chabloz. Sa maîtrise technique impressionne, surtout dans un contexte pour lui inattendu, qui a pris la forme d’un véritable « Concert à La Goulue », et qui aurait pu déstabiliser un si jeune musicien, si inexpérimenté dans la pratique du concert !
Point du tout. On a pu l’apprécier dans toute la subtilité de son toucher, sa musicalité débordante qui n’attend qu’un peu de maturité supplémentaire pour s’exprimer pleinement, mais qui ne laissait pas grand-chose dans l’ombre. Aucune encouble, parfois une prudence compréhensible dans certains tempi ou face à des passages qui seraient devenus …dangereux en cas de prise de risque interprétative trop grande…
Nous avons pu découvrir une immense palette expressive, une pleine maîtrise de mon clavecin français, certes très agréable à jouer et à la sonorité magnifique, mais tout de même ! L’écoute admirable des possibilités de l’instrument, le toucher très caressant lorsqu’il le fallait, ou sollicitant les pleines possibilités du « tutti » de l’instrument dans les pièces brillantes, ont montré un claveciniste parfaitement au fait de son instrument, à qui il ne manque plus grand-chose pour tutoyer les plus grands ! Et ce alors qu’il vient de commencer son Master après avoir passé l’été dernier son Bachelor…
Nous ne pouvons que lui souhaiter une belle et longue carrière aux claviers de clavecins innombrables: il en a les moyens, y compris celui d’enchanter un public nombreux dans tous les répertoires possibles, probablement.
Il n’a en outre pas manqué de nous livrer sa « botte secrète », dans le langage des épéistes: l’improvisation. Déjà la veille, jouant à l’occasion de l’inauguration d’un clavecin réalisé par Jean-Michel Chabloz, de facture française lyonnaise du XVIIIe siècle, inspiré par le célèbre instrument historique que l’on joue au château d’Assas, dans le sud de la France. Cette occasion a été pour Adrien Pièce celle de ne proposer que des improvisations sur des sujets proposés par le public, et ce sans broncher, sans trembler, et animé d’une belle inspiration, malgré des propositions parfois redoutables ! Cet élève très prometteur de notre ami Ruedi Lutz doit réjouir le coeur de son maître, à n’en pas douter !
Chers amis mélomanes: si Adrien Pièce se produit point trop loin de chez vous à l’avenir, faites l’effort de vous déplacer pour venir l’écouter, vous ne le regretterez pas !
Et je sens qu’il ne faudra pas trop attendre pour qu’il soit bientôt à l’affiche de La Goulue dans le cadre de sa programmation annuelle, si celle-ci se poursuit. Nous ne manquerons pas de l’épingler à notre tableau de chasse !