Compte-rendu du concert:
La mezzo-soprano Brigitte Ravenel est venue nous chanter l’âme tzigane telle que revisitée par les compositeurs romantiques, surtout ceux de la 2e moitié du XIXe siècle. À cette époque, la musique tzigane était à la mode, et comme d’autres musiques traditionnelles, elle avait inspiré divers compositeurs qui, soit en avaient récupéré les mélodies pour les retravailler, soit s’étaient inspiré de l’esprit ou des rythmes de cette musique. Parfois, à l’écoute de certaines mélodies, on a vraiment l’impression de retrouver l’âme de ce peuple errant et fier; j’avoue toutefois que dans certains cas, je ne sais pas où le compositeur à dissimulé quoi que ce soit de tzigane…
Brigitte Ravenel avait choisi des mélodies de Robert Schumann, Hugo Wolff, Piotr Illitch Tchaïkowsky, Anton Dvorak et Franz Liszt. Ces mélodies alternaient avec des pièces de piano en solo, mais surtout laissaient la place à la voix profonde, grave et enveloppante de Gil Pidoux, lequel nous a lu divers extraits tirés d’un roman, « Zoli », de Columm McCann, magnifique roman racontant la vie d’une Gitane, depuis son enfance jusqu’à l’aurore de sa vie.
Les extraits lus nous ont laissé percevoir un récit tout de poésie et de rudesse alternée, profondément bouleversant (après la soirée, je me suis d’ailleurs empressé d’acheter l’ouvrage et de le dévorer d’une traite…). Une formule simple, lapidaire, terrible, restera à jamais gravée dans ma mémoire: on a tendance à oublier que le peuple tzigane a fait partie des victimes, outre les Juifs, de la grande opération de « purification » ethnique et eugéniste du « Dr Hitler ». Les Gitans ont été nombreux à périr dans les camps d’extermination nazie, dont des parents de la narratrice de ce roman, qui en parle d’une seule phrase pudique, lapidaire, à la terrible efficacité: « Ils les ont poussés par la porte d’entrée, ils les ont libérés par les cheminées »…
Brigitte Ravenel, selon son habitude, a construit méthodiquement son programme, travaillé méticuleusement chaque mélodie dans sa langue, s’attelant à en polir une diction impeccable, texte dont la musique des mots soutient un discours mélodique très épuré mais empreint d’une grande force expressive. Malgré quelques restes d’une méchante crève, qu’on oublie bien vite, on se laisse convaincre par la beauté et le caractère propre de chaque mélodie, de chaque compositeur ainsi mis en valeur.
Il reste toujours le petit problème que La Goulue ne résoudra jamais: ce n’est pas une grande salle de concert, donc inévitablement, la voix se voit attribuer une tâche redoutable: elle doit porter seule son message musical, sans pouvoir compter sur l’acoustique sophistiquée d’une salle moderne ou la « réverbération sonore » d’une église. Mais une fois qu’on oublie cette particularité du lieu, on se laisse conduire par la voix et par nos oreilles, et le public, nombreux, n’a pas faibli une seconde dans son écoute attentive.
Seul petit bémol à mon goût: la pianiste, Nicole Wickihalder, une accompagnatrice très attentive et discrète, l’était …trop dans les danses roumaines de Bartok qu’elle a jouées en solo: cette musique est réellement de mon point de vue une musique à danser, et chacune des courtes pièces qui composent ce recueil a une rythmique à elle, un influx qui ont par trop été gommés par une interprétation beaucoup trop intimiste et peu contrastée, souvent à un tempo trop lent, surtout dans le cas de la dernière danse.
Mais pour le reste, une soirée originale, bien balancée et bien menée, pour le plus grand plaisir d’un public « Goulu » toujours émerveillé de découvrir combien notre petit monde romand recèle de perles parmi les interprètes professionnel-le-s; combien nombreux sont les artistes qui ont quelque chose à dire en musique. Nul doute que c’est au plus haut degré le cas de Brigitte Ravenel, qui met ses talents au service de toutes les musiques, depuis des créations de musique contemporaine à la musique ancienne. Une vraie artiste, curieuse d’explorer tous les horizons musicaux… Bravo Brigitte !