Compte-rendu du concert:
Ce samedi dernier, nous accueillions le pianiste Michel Bayard pour un récital en solo. Au programme: 2 sonates de Domenico Scarlatti; les « Davidsbündlertänze » op. 6 de Robert Schumann en première partie, puis une seconde partie entièrement réservée à des oeuvres de Claude Debussy: « Danse », « Pour le piano », « Masques », « D’un Cahier d’Esquisses », ainsi que 7 des « Préludes ».
La soirée a été marquée du sceau de l’émotion et de la sensibilité. En effet, ce qui frappe tout-de-suite chez ce pianiste, s’est la finesse de son toucher, la subtilité des couleurs dans les nuances plutôt douces, et l’absence de toute dureté ou agressivité dans les passages plus sonores et virtuoses.
Il faut bien dire que j’ai nourri quelques craintes au début du concert. Lors des 2 sonates de Scarlatti, ainsi encore qu’au début des Davidsbündlertänze de Schumann, le pianiste semblait quelque peu paralysé par le trac, et les passages plus véloces, ou impliquant de grands déplacements des mains, notamment avec des accords parallèles, peinaient à passer… Mais déjà, les passages plus apaisés laissaient entendre de magnifiques couleurs et un beau toucher.
Puis petit-à-petit, l’assurance est revenue, avec elle la technique est devenue plus fluide, les morceaux de plus en plus évidents, et on a véritablement bu du petit-lait dans les enchaînements des diverses pièces constituant ce recueil de Schumann, marqué par la maladie qui le rongeait déjà, la schizophrénie. Il semblait y avoir une constante alternance de deux personnalités en passant d’une pièce à l’autre, et le pianiste a su trouver un jeu adapté à chaque personnalité, retrouvant à chaque fois le même jeu pour le même caractère. Cette musique en a gagné une profondeur fascinante. Et dieu sait si l’oeuvre est redoutable: longue, constituée de nombreuses pièces plutôt courtes, il faut constamment savoir « switcher », et ne pas tomber dans le pathos… L’oeuvre est d’ailleurs peu souvent jouée en concert; Michel Bayard a très bien fait de l’inscrire à son programme.
Je dois dire que je suis un fan inconditionnel de Debussy… Depuis mon enfance, mais surtout mon adolescence, je suis fasciné par son univers sonore, qui donne constamment l’impression d’une grande liberté de ton, d’enchaînements surprenants d’atmosphères qui pourraient faire croire que le pianiste improvise au fur et à mesure. Pourtant, il n’y a pas plus « construit » que ces pièces, que Debussy a mis de longues années à façonner, lui qui avait tant de peine à « abandonner » une pièce pour décider qu’elle était accomplie… On sait qu’il faisait de très longues recherches sonores avec son piano, et ça rend cette musique très difficile, à mon point de vue, à rendre avec le « ton juste ». Le moindre frémissement de toucher change la couleur d’un passage entier, et il faut trouver à chaque note sa résonance, le coup de pédale juste, les micro-nuances qu’il faut, le chatoiement des couleurs dans certaines pièces…
Qui plus est, Debussy a créé un univers sonore très particulier et très personnel. Peu de compositeurs l’ont suivi sur cette voie, peu de compositeurs peuvent être qualifié de « debussystes ». Il a pourtant trouvé en musique la quintessence de l’impressionnisme, et le parfait pendant en musique de ce courant artistique surtout connu par la peinture.
Les préludes sont à ce titre un des sommets de la composition pour piano de Debussy, chaque prélude constituant un univers sonore en soi… Debussy y a fait preuve d’une inventivité et d’un génie rare. Michel Bayard a montré que cet univers était également le sien, qu’il a dû probablement beaucoup travailler et re-travailler chaque pièce. Il a joué il y a quelques années l’intégrale des oeuvres de piano de ce grand parmi les grands compositeurs français, et on le sent à l’aise dans cette musique.
Je l’attendais au contour: je sais les possibilités expressives très riches de mon piano Fazioli, et j’ai tout tenté pour jouer cette musique qui sonne si bien sur cet instrument… Michel Bayard en a fait son miel, et le Fazioli le lui a rendu… Bravo !